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Aussi malgre le soin que j'apporte pour mettre le nom de l'auteur et la reference des illustrations sur tous ces textes , il se pourrait que ce soit insuffisant
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Les Pratiques Religieuses sont-elles Actualisables ?




                                             Boruch Nachson studentorgs




   Les Pratiques Religieuses sont-elles Actualisables ?


Hervé élie Bokobza
rvelie1@yahoo.fr


Une chose claire et explicite dans la Torah est d’ordre éternel, […] comme il est dit : Tout ce que je vous ai prescrit, observez-le sans rien y ajouter, sans rien y retrancher (Deu. 13, 1). Il est dit également : […] les choses révélées sont pour nous et nos enfants pour l’éternité, pour accomplir toutes les paroles de cette
Torah (ibid. 29, 28). Nous sommes donc tenus d’appliquer toutes les paroles de la Torah pour l’éternité.
Maïmonide (Michneh Torah, lois des fondements de la Torah chap. 9, 1)

1. L’éternité de la Torah

Le concept de l’éternité de la Torah constitue, selon Maïmonide, un des Treize principes de la foi juive. Le huitième précise que la Torah ne devra jamais changer, pas même à l’initiative de Dieu, plus aucune révélation n’aura pour objet d’apporter une nouvelle Torah. Dans le neuvième principe Maïmonide ajoute qu’il convient aussi de croire que le contenu de la loi mosaïque est le même depuis l’époque de la révélation du Sinaï jusqu’à nos jours.
S’il est vrai que les treize articles de foi de Maïmonide sont devenus assez populaires pour avoir intégré certains rituels de prières2, ils sont loin d’avoir fait l’unanimité au sein des Sages d’Israël. Parmi ses plus vifs contradicteurs, citons R. Joseph Albo (1380-1444) auteur du fameux Sefer Haïkarim. L’auteur va longuement s’opposer aux principes de foi de Maïmonide, pour n’en retenir finalement que trois :
1. L’existence de Dieu. 
2. La providence divine, salaire et rétribution. 
3. L’origine divine de la Torah.
Selon R. Joseph Albo (Partie III, à partir du chapitre 13), rien n’interdit qu’un jour des changements puissent être faits à la Torah. Il rejettera d’autant plus ce principe voulant " impliquer " Dieu lui-même à ce " crédo ". Joseph Albo va ainsi démontrer la possibilité que la Torah soit amenée un jour à évoluer en fonction des conjonctures du temps, à l’instar de ce que nous trouvons au sujet de la consommation de la viande qui n’a été permise qu’à partir de Noé alors même qu’elle avait été interdite à Adam (Talmud, Sanhédrin 56, b, Michneh Torah,lois des rois 9, 1), ainsi que d’autres changements semblables.

2. Torah écrite, Torah orale et Tradition Rabbinique au regard du concept d’éternité de la Torah

Pour le Judaïsme, la Torah n’inclut pas uniquement la Bible mais également l’intégralité de la Tradition orale, ainsi que nous lisons dans le Talmud : R. Lévi bar ‘Hama dit au nom de R.Chimon b. Lakich : " Que signifie ce verset : Je te donnerai les Tables de pierre, la Torah et le commandement que j’ai écrits pour les enseigner (Exode 24, 12) ? Les Tables, ce sont les dix paroles (Dix Commandements) ; la Torah, c’est le pentateuque ; le commandement, c’est la Mishna ; que j’ai écrits, ce sont les Prophètes et les Hagiographes ; pour les enseigner, c’est le Talmud. Il nous enseigne qu’ils ont tous été donnés à Moïse au Sinaï " (Talmud,Berakhot 5, a). Ainsi, bien que la Torah écrite constitue le socle sur lequel repose tout le Judaïsme, elle n’est pas considérée comme le Livre des Lois par excellence. Si les six cent treize mitsvot inclues dans la Torah sont déduites des cinq livres du pentateuque5 seule la Tradition orale doit les confirmer.

La Tradition orale est pour le Judaïsme d’une importance capitale. C’est par elle que reposent tous les fondements de la Torah. Selon les termes de Maimonide : " Tous les commandements qui ont été transmis à Moïse au Sinaï ont été donnés avec leurs commentaires […] c’est ce qu’on appelle la ‘Torah orale’ " (introduction au Michnéh Torah).
C’est ainsi que la Tradition orale s’est transmise de génération en génération depuis Moïse, comme le mentionne la Mishna (Avot 1, 1) : " Moïse reçut la Torah du Sinaï et la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux prophètes, et les prophètes la transmirent aux membres de la grande Assemblée ".
Si l’interprétation de la Torah fait corps à la révélation, il nous faut comprendre que le principe d’éternité de la Torah, inclut également toute la Tradition orale.
Or, comment concilier l’éternité de la Torah avec la tradition orale ouverte à une multitude de sens, autant qu’à la discussion et la contradiction ? Surtout à partir de Ezra (environ 570 avant J.C.) où va se constituer pour le Judaïsme une ère nouvelle, par l’institution des membres de la Grande assemblée. C’est de cette grande assemblée qu’émergera l’enseignement de nos sages discuté et commenté beaucoup plus tard dans le Talmud. La Halakha ne sera plus désormais le fruit d’une transmission de génération en génération, mais
discutée par les Sages afin d’élaborer à partir de la Torah écrite, des enseignements reçus par tradition et déductions des sages, une loi cohérente. Cette loi devra inclure toutes les règles de décrets, de coutumes et même de commandements — rabbiniques — dégagés à partir de conjonctures historiques liées notamment aux nouvelles conditions de la diaspora.
C’est ici qu’intervient la ma’hloket (controverse), qui permettra de fixer la halakha en fonction de la majorité. Ceci est encore plus vrai depuis l’école de Hillel et de Shamaï où vont se créer au sein des institutions juives deux enseignements distincts comparables à deux Torot6 (Talmud Sanhédrin 88, b).
Comment dans ce contexte, est-il possible de parler d’éternité de la Torah ?

3. Les Mitsvot sont-elles considérées comme un but ou un moyen ?

Par ailleurs, toute la dialectique de Joseph Albo au sujet de l’évolution possible de la Torah, repose sur l’idée de voir les Mitsvot non plus comme un but en soi, comme si la seule volonté divine était réduite au seul mécanisme de la pratique rituelle des lois et des interdits, mais comme un moyen de parvenir à une conscience plus élevée.
Joseph Albo va distinguer la valeur absolue de l’enseignement divin — transcendant — de son aspect relatif — immanent. Ainsi, en relation à l’homme, il va de soi que la volonté divine n’est applicable que dans la mesure où elle parle le langage des hommes7. C’est pourquoi, nous dit Joseph Albo, de même que la nourriture qui est bonne pour un enfant, comme le lait, l’est moins pour un adulte qui a besoin de pain et de viande, ainsi en est-il des lois de la Torah ; elles ont été données en relation avec l’évolution de la conscience de l’homme à travers les âges. En ce sens nous pouvons concevoir des changements possibles de la loi en
fonction des époques.
Ce concept, que nous trouvons chez Joseph Albo, ne s’oppose pas forcément à la vision de Maïmonide. Nous trouvons chez le Rambam les mêmes dispositions quant à la perspective par laquelle il faut entrevoir les commandements divins. C’est ainsi que nous lisons dans le Guide des égarés (III, chap. 31) : " chacun des six cent treize commandements de la Torah doit, ou produire une opinion saine, ou détruire une opinion erronée […], ou former l’homme aux bonnes moeurs […] ". L’ensemble des commandements se rattache donc à trois choses :
aux opinions, aux moeurs et à la pratique des devoirs sociaux. Nous trouvons également à propos des sacrifices, Maïmonide ne les légitime que dans la mesure où ils répondaient à une " coutume familière au monde entier " d’offrir diverses espèces d’animaux dans les temples depuis l’époque de la " révélation mosaïque ". En conséquence, nous dit Maïmonide, la sagesse de Dieu ne jugea pas convenable de nous ordonner leur annulation. Cela aurait paru inadmissible à la nature humaine. " Demander une pareille chose, c’eût été comme si un prophète en exhortant au culte de Dieu, venait nous dire : “ […] votre culte sera une simple méditation sans aucune pratique ” " ( III chap. 31-32).
Maïmonide voit l’utilité des rituels comme un moyen d’amener peu à peu l’homme vers l’essentiel du service de Dieu qui consiste en l’acquisition des valeurs morales au point d’entrevoir la quintessence de la Torah " dans une simple méditation sans aucune pratique ".
Maïmonide va favoriser avant tout la connaissance des raisons des commandements afin que le mécanisme de la pratique rituelle ne fasse pas oublier l’essentiel. C’est ainsi qu’il écrit dans le Michneh Torah qu’il est nécessaire de réfléchir afin de donner des raisons à tous les commandements de Dieu même dans les lois appelées houkim (décrets) : " Car la majorité des lois de la Torah, constituent en fait un conseil du Conseiller Suprême, afin d’améliorer la conscience de l’homme et de rendre sa conduite plus appréciable ". Ce qui signifie que les lois de la Torah visent avant tout à perfectionner l’homme moralement et spirituellement et les
rites pour y parvenir ne sont qu’une étape.
Pour Maïmonide (Guide III chap. 34), la loi, faite d’idées, de moeurs et d’actions utiles, doit permettre d’affiner la conduite de l’homme. C’est pourquoi, nous dit-il, la loi n’a pas égard à ce qui est exceptionnel. Elle n’a en vue que les cas les plus fréquents, elle ne s’intéresse pas non plus au dommage dont peut résulter de telle disposition et de tel régime légal pour un seul individu. Même si la loi est une chose divine, il faut considérer les choses à partir de la nature qui embrassent ces avantages généraux, même s’ils peuvent résulter des dommages individuels. C’est ainsi qu’il ne faut pas s’étonner si la loi ne s’accomplit pas dans chaque individu, que ce régime de la loi ne rend point parfait.
Les lois de la Torah ne pourront pas non plus s’adapter exactement aux circonstances diverses des individus et des temps, comme le traitement médical, qui, doit être conforme au tempérament présent de chacun. Il est possible que le régime légal convienne à la majorité des hommes, tout en pouvant ne pas s’adapter à d’autres. Il est donc clair pour Maïmonide qu’il ne faut pas voir les commandements de la Torah comme un but en soi. C’est pourquoi Maïmonide va également distinguer la généralité du commandement qui doit reposer sur des raisons bien établies, des détails qui n’ont d’autre importance que de purifier l’homme pour parvenir à une dimension plus élevée (Guide III chap. 26), ainsi que nous lisons dans le Midrash : passage (Genèse Rabba 44, 1) : " Rav dit, les commandements n’ont été donnés que pour éprouver les créatures. Qu’importe en effet au Saint Béni soit-Il que l’abattage rituel soit pratiqué à la gorge ou à la nuque ".

4. La question de savoir s’il est possible de faire évoluer les pratiques religieuses ne dépend pas du concept d’éternité de la Torah

En réalité la question de savoir si les commandements de la Torah sont actualisables en fonction de l’évolution des sociétés ne peut apporter de réponse à notre problème. En effet,les propos de Maïmonide qui pose comme principe l’éternité de la Torah et l’impossibilité d’un quelconque changement montrent une fermeture quant à la possibilité d’une nouvelle révélation.
R. Joseph Albo non plus ne saurait nous tirer d’affaire ; tout en considérant une évolution possible à la Torah, il sera pour autant d’avis que cette nouvelle révélation ne sera possible que par l’intermédiaire d’un prophète au moins semblable à Moïse (Sefer Haïkarim, III fin du chap. 17). Or, sachant que seul Moïse avait le privilège de dialoguer avec Dieu bouche à bouche, dans une claire apparition sans énigme (Nombres 12, 8) et aussi qu’il n'a plus paru en Israël de prophète comme Moïse (Deu. 34, 10) les autres prophètes de moindre valeur sont tenus de conforter leurs prophéties à celle de Moïse. Ainsi, même selon Joseph Albo, plus aucun prophète ne sera à même de contredire la révélation du Sinaï. Par conséquent, même selon lui, l’évolution des lois de la Torah relèvent uniquement du principe mais demeure concrètement irréalisable.


5. Le sens de l’interprétation

Si notre étude apporte au moins l’avantage de nous convaincre du caractère conjoncturel des commandements, puisque désormais plus aucun prophète n’est habilité à recevoir une nouvelle révélation, nous ne pouvons admettre d’évolution à la Torah par voies de prophétie. Aussi, afin d’entrevoir la possibilité d’une quelconque évolution de la halakha, il conviendra à mon sens de l’envisager à partir de la nature même de l’interprétation, ainsi que nous allons tenter de l’expliquer.

Nous avons vu plus haut que même si les Sages d’Israël ne vont plus uniquement s’appuyer à partir de la transmission orale mais aussi sur leur propre compréhension, dès lors que leurs interprétations sont conformes aux midot chéhatorah nidréchet bahen, c’est-à-dire aux règles par lesquelles la Torah s’interprète, on considèrera leurs enseignements comme intégrant la " révélation " du Sinaï. Ainsi l’adage de nos Sages " les uns et les autres sont les paroles du Dieu vivant " (Talmud, Erouvin 13, b), montre bien que la nature de " vérité " ne dépend plus d’un absolu mais d’une dialectique précise pouvant évoluer en fonction des conjonctures du temps comme nous le verrons plus loin.

On comprend aisément la symbolique d’attribuer l’origine de l’enseignement des Sages à la bouche même de Moïse. Nos Sages ajoutent que tous les enseignements et commentaires qui seront donnés dans les générations futures ont déjà été reçus par Moïse au mont Sinaï :
" R. Yi’hya Bar Aba au nom de R. Yo’hanan dit : Que signifie ce verset : Et l’Eternel me remit les deux Tables de pierre écrites du doigt divin et contenant toutes les paroles que l’Eternel vous adressa sur la montagne ? Ce verset vient nous apprendre, que le Saint, béni soit-il, a montré à Moïse toutes les explications des paroles de la Torah et des Sages, ainsi que tout ce que les Sages apporteront par leurs explications ". (Talmud Méguila 19, b).

 C’est ainsi que depuis Moïse, les Sages d’Israël n'ont cessé d’interpréter les textes bibliques. Cette idée selon laquelle la nature de " vérité " de la halkha n’est plus fonction d’un absolu mais d’une dialectique précise pouvant évoluer en fonction des conjonctures du temps, peut nous aider à apporter un éclairage sur un passage du Talmud (Temoura 16, a) au sujet des lois reçues par Moïse qui auraient été oubliées après sa mort : " R. Juda a dit au nom de Samuel :
trois mille lois furent oubliées à l’époque du deuil de Moïse. Ils [les enfants d’Israël] dirent à Josué de les réclamer, il leur dit elle, [la Torah] n’est pas dans les cieux (Deu. 30, 12). Samuel à qui ils la réclamèrent dit à son tour : Tels sont les commandements (Nombres 6, 13) : depuis que la Torah a été donnée plus aucun prophète n’est autorisé à introduire un précepte nouveau ".

Plus loin, le Talmud ajoute : " On a enseigné : Mille sept cents raisonnements a fortiori et déductions des Scribes furent oubliés pendant le deuil de Moïse. R. Abahou dit : et pourtant Othniel fils de Kenaz les restaura par son pilpoul (dialectique) ".

Ce passage du Talmud paraît obscur :

1) Si des milliers de lois de la Torah orale avaient été oubliées, comment le pilpoul d’Othniel fils de Kenaz a-t-il pu les restaurer ?
2) S’agissant de lois émanant de la révélation du Sinaï, il aurait été plus admissible que des prophètes comme Josué ou Samuel puissent les réclamer. Aussi, en quoi la dialectique des Sages — sujette à controverse et contradiction — peut-elle avoir plus de crédibilité que l’enseignement des prophètes ?

Bien que la prophétie soit constitutive des principes de la Torah, plus aucun prophète — comme on l’a dit — ne peut prétendre, par toute voie d’oracle, à une quelconque révélation visant à interpréter la Loi de la Torah (Maïmonide, Michneh Torah, Règles des fondements de la Torah 9, 4). En témoigne ce fameux passage du Talmud (Baba Metsi’a 59, b) qui rapporte une discussion au sujet d’un four fabriqué en tuiles découpées et liées avec du sable afin de  savoir s’il est soumis aux règles de l’impureté.
R. Eliézer soutenait, à l’encontre des autres sages, que le four est pur. Lorsque R. Eliézer constata qu’aucun de ses arguments ne fut pris en compte, il déclara : " Si j’ai raison, les Cieux l’approuveront ". Une voix céleste se fit entendre : " Qu’avez vous à contester R. Eliézer, alors que la loi est comme lui dans tous les cas?  ". R. Josué rejeta formellement cette " voix des cieux " au nom du principe : elle, [la Torah] n’est pas dans les cieux (Deu. 30, 12). En effet, puisque les autres sages se sont opposés à l’opinion de R. Eliézer, il convient de se fier à la majorité, comme il est dit : Au nom de la majorité pour infléchir le droit (Exode 23, 2). Nous ne pouvons, par conséquent,tenir compte d’une voix céleste, pour fixer la Loi.


Lorsque nous parlons de religion se pose pour nous le problème de la " vérité. Sachant que toute revendication religieuse présuppose un sacré, comment concilier la sacralisation du discours avec la notion de dialogue, d’où se dégage une réflexion avant tout objective ?
La haklakha ne peut donc poser comme principe de vérité un " absolu " aussi " sacré " soit il.
En effet, Pour le Judaïsme, la vérité ne se conçoit pas comme un élément figé qui ne ferait qu’idolâtrer le message divin, mais au contraire s’envisage dans une perspective capable de représenter toutes les composantes diversifiées du discours. C’est pourquoi seule la dialectique des sages fondée principalement sur leurs propres expériences et interprétations peut se prévaloir de la vérité halakhique et ainsi faire corps avec toute la loi de Moïse.
Cette idée est bien présente chez les commentateurs qui décrivent le paradoxe de toute discussion halakhique laquelle tout en ouvrant sur une multitude de sens souvent contraires,prétend recueillir la parole du Dieu vivant. La Torah n’a pas été donnée aux anges, mais à l’homme animé d’un intellect humain. Cette Torah passe donc du domaine sacré au domaine de l’homme, même si son principe de vérité s’en trouve altéré. Ainsi les commentateurs vont citer un passage édifiant du Talmud (Bava Metsi’a 86, a) où il est question d’une vache rousse sur laquelle on aurait aperçu une tache sans savoir si elle précède l’apparition du poil
blanc. L’Académie céleste déclarera la vache impure à l’encontre de l’opinion même de Dieu qui penchait pour la pureté de la vache. Seul Rabba b. Nahmani, nous dit le Talmud,unique dans la connaissance de ces lois, sera à même de trancher leur discussion.
Comment est-il possible, se demandent les commentateurs, qu’un sage aussi grand soit-il puisse intervenir au nom de la Torah pour prendre position sur une discussion où Dieu constitue l’un des partis ? 
En réalité, après que la Torah a été donnée à l’homme, seul l’intellect humain peut faire jurisprudence dans l’élaboration de la halakha, même si son enseignement risque de contredire " la vérité absolue ". Ainsi, il ne convient pas de décoder concrètement une loi en fonction de la vérité mais en fonction de la dimension intelligible et humaine. C’est ainsi que la voie céleste prétendant que la halakha est conforme à l’opinion de
R Eléazar à l’encontre des autres Sages n’a pas été acceptée, car la question soulevée n’est plus quelle vérité cherchons-nous, mais à partir de quels éléments de réflexion inhérents aux facultés humaines nous pouvons décider de la mise en conformité du don de la Torah à la conscience des hommes. En effet, la Torah n’a pas été donnée pour être admise à partir des facultés d’oracles et de prophéties mais en fonction de la dimension humaine.
Cette explication va nous permettre de comprendre le passage du Talmud mentionné plus haut au sujet des lois de la Torah orale qui furent oubliées pendant le deuil de Moïse. Ces lois que seule la dialectique des Sages, par l’intermédiaire de Othniel fils de Kenaz a pu restaurer.
La dialectique des Sages — le pilpoul — est capable d’apporter, à partir des règles et principes d’interprétations, des déductions pouvant déterminer la halakha. À l’instar de l’adage de nos Maîtres
 " Pourquoi est-il nécessaire, de déduire une loi d’un verset de la Torah,alors que cela relève de la logique même ", ainsi le bon sens peut suffire à confirmer la loi même si celle-ci n’est pas explicite dans la Torah.
Or, la dialectique des Sages non plus n’est pas exempte de doutes. Elle permet une ouverture à plusieurs sens souvent contradictoires les uns des autres, à l’instar de Beth Hillel et de Beth Shamaï, comme nous l’avons dit. Il n’existe pas de hiérarchies dans la halakha,ainsi, dans le principe, chaque génération peut s’opposer à partir des bases halakhiques à ce qui a été décidé même depuis le Beth Din de Moïse. On pourrait donc très bien imaginer que les décisions prises dans la Mishna soient remises en cause par des législations Rabbiniques
des générations ultérieures. Comme l’écrit Maïmonide (Michnéh Torah, loi de Mamzérim chap. 2, 1)23 : " Si un Beth din légifère une loi à partir d’une des règles d’interprétation de la Torah, et qu’ensuite un autre Beth Din vient s’opposer à cette décision à partir d’une raison qui lui semble plus convenable, il pourra contredire ses prédécesseurs, comme il est dit : devant le juge qui siège à ton époque (Deu. 19, 17), tu es tenu de ne te conformer qu’aux décisions du tribunal de ta génération ".

Il en est de même au sujet de la dialectique d’Othniel fils de Kenaz : bien qu’elle ait été admise à l’époque, rien n’interdit dans les générations futures que d’autres sages puissent interroger ses déductions et apporter de nouvelles interprétations en fonction de leur propre entendement. Comment dès lors pouvons-nous considérer la dialectique de Othniel fils de Kenaz comme pouvant authentifier les lois de la Torah orale — oubliées après le deuil de Moïse — alors même que ses décisions sont sujettes à remise en question permanente ?

Une question comparable à celle-ci a déjà été soulevée par le Talmud (Baba Batra 130, b) :
" Rava dit […] : Si vous trouvez matière à contredire mes décisions halachiques, ne les rejetez pas avant de me consulter. J’aurai peut-être une réponse à vous soumettre, sinon je reviendrai sur mes positions. Après la mort aussi soyez vigilants, ne repoussez pas mes propos, pensez que si j’étais encore là j’aurais certainement de quoi réhabiliter mon enseignement [Vous aussi en cherchant vous trouverez éventuellement matière à les
soutenir] sans pour autant vous imposer de les accepter s’ils vous posent problème, car un juge ne peut apprécier au-delà de ce que ses yeux perçoivent ". Ainsi, comme l’expliquent les commentateurs (Rachbam), pour tout ce qui dépend du raisonnement on ne doit se fier qu’à sa propre perception.

Bien que tout enseignement des sages rejeté de la décision finale soit pris en compte dans la halakha, et fait partie intégrante de l’enseignement de la Torah27, pour autant tant que des questions subsistent sur cet enseignement, il ne sera pas possible d’établir la loi en fonction de celui-ci. Seules la perception et la compréhension de celui qui étudie la halakha prévaut à tout autre enseignement, même s’il s’agit d’un élève devant son maître..

Maïmonide écrit à ce sujet (Michneh Torah, lois de Sanhédrin 23, 9) : " Tout juge qui légifèrerait à l’encontre de la vérité halakhique verra la présence divine se retirer d’Israël. […] Un juge qui établit, en revanche, un jugement selon la stricte équité ne serait-ce qu’une heure,[…] est comparable à celui qui aurait réhabilité le monde entier, il contribuera ainsi à faire résider la présence divine au sein d’Israël, comme il est dit Dieu se tient dans l’assemblée divine (Psaume 82, 1). C’est pour le cas d’un juge qui hésiterait à s’engager dans une telle responsabilité, que le verset affirme : Il sera près de vous quand vous prononcerez un jugement (Chroniques II 19, 6). Un juge ne peut apprécier au-delà de ce que ses yeux perçoivent ". Ainsi, tant que ses décisions sont en harmonie avec sa propre conscience et perception, il ne peut s’inquiéter sur ses prises de position qui font partie intégrante de la Torah.

La halakha n’est donc plus fixée en fonction d’une quelconque authenticité relative à la révélation, mais dépend de la compréhension des sages de chaque époque habilités à discuter de la loi de la Torah. La vérité halakhique devient ainsi dépendante de la conjoncture relative à la décision des sages, qui, en absence d’autres preuves sont garants de la pérennité de la révélation du Sinaï.
C’est pourquoi, sur la question de savoir si les pratiques religieuses sont actualisables, il ne convient pas de s’appuyer sur la dialectique de l’éternité de la Torah. En effet, même si nous retenons les propos de Maïmonide devant ceux de Joseph Albo, au point d’accepter que plus aucune autre révélation même de Dieu n’est possible, les pistes qui permettent d’ouvrir le Judaïsme à la modernité doivent s’intégrer à toute la cohérence interne du Judaïsme. Il s’agit juste de savoir comment, à partir des discussions et explications basées sur les règles d’interprétations, est-il possible d’apporter une réalité nouvelle aux conjonctures du temps, afin de procéder éventuellement à une évolution de la loi de la Torah.

6. En guise de conclusion

Notre but vise justement à dégager les pistes éventuelles permettant cette ouverture.
Prenons le cas de la place de la femme dans le judaïsme. La halakha ne pose pas de principe absolu mais relatif aux conditions de l’époque. Ainsi de nos jours, le Judaïsme ne peut plus se penser à partir des conjonctures archaïques entièrement dépassé, mais doit faire face aux réalités nouvelles. Comme le disait très justement Y. Leibowitz : aujourd’hui nos sociétés ne peuvent plus faire l’économie de la place de la femme dans la culture, la politique, le social, et la pensée au sens le plus large du terme. Ainsi comment peut-on encore penser avec des termes qui " correspondaient " à un monde où la femme n’était pas représentée  ?
C’est en ce sens que dans la suite de nos interventions nous tenterons d’apporter des champs de réflexion à partir de la cohérence halakhique afin de permettre une remise en question de règles qui ne peuvent plus s’adapter à la modernité, sans pour autant nous détacher de notre Tradition qui a fait notre histoire et notre patrimoine.

Je disais récemment à une personne du Judaïsme orthodoxe que le problème de savoir si les pratiques religieuses sont actualisables, dépasse de loin les frontières des seules conjonctures halakhiques. En effet, la modernité, na pas attendu que les religions légifèrent sur tout ce qui concerne l’évolution des moeurs que ce soit la place de la femme, le rapport avec la citoyenneté et tout ce qui représente la vie sociale et politique. Ainsi la question n’est plus de savoir comment la halakha va pouvoir s’adapter aux nouvelles conditions de la vie, mais de savoir si une personne désireuse d’orienter sa vie en conformité avec la Torah peut encore avoir sa place, au sein du monde dans lequel nous vivons. Si la femme intègre aujourd’hui nos sociétés, à tous les niveaux de l’échelle sociale et politique, comment les femmes pratiquantes peuvent-elles rester à l’écart ?

Ainsi, à mon sens, un message, tout aussi révélé qu’il soit, en tombant dans l’oubli cesse d’être une révélation, dans les termes du Talmud (Meguila 14, a) " Seule une prophétie nécessaire aux générations futures a été écrite ". Il en est de même au sujet de la révélation du Sinaï : la parole de Dieu, pour ce qu’elle a d’éternel, doit faire écho à la culture de chaque individu en fonction du lieu et de l’époque où il se trouve.
Ainsi, nous sommes contraints d’envisager la révélation non plus comme un événement inscrit dans un temps et un lieu donnés, mais dans un prolongement atemporel. C’est en ce sens que nous pouvons donner à la parole divine un caractère d’éternité.
Si le message de la révélation n’est plus audible pour les êtres humains, en tant qu’il n’utilise plus le " langage des hommes " (voir Talmud Berachot 31, b), si cette parole ne s’entend plus aujourd’hui, elle ne peut plus s’inscrire dans l’éternité.
Ainsi, envisager une évolution dans la révélation ne fait qu’attester son authenticité, et cette évolution est déjà prise en compte dans le Judaïsme. Encore faut-il savoir la trouver et comment la  lire.

cjl-paris

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