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Onaa





Une entrevue avec le Professeur Henri Atlan
By ELIAS LEVY, Reporter
Thursday, 02 September 2010

cjnews.com

Médecin, biologiste, philosophe et exégète des textes talmudiques, Henri Atlan, qui est l’un des pionniers des théories de la complexité et de l’auto-organisation du vivant, est l’auteur de nombreux travaux en biologie cellulaire, en intelligence artificielle, en biophysique et en éthique de la biologie et d’une importante oeuvre de réflexion philosophique et talmudique.Henri Atlan
Professeur émérite de biophysique à l’Université Hébraïque de Jérusalem et à l’Université de Paris-VI, directeur du Centre de recherche en biologie humaine de l’Hôpital universitaire Hadassah de Jérusalem et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, cet éminent scientifique franco-israélien a été, de 1983 à 2000, membre du Comité consultatif national d’éthique français pour les sciences de la vie et de la santé.
Né à Blida, en Algérie, ce penseur iconoclaste poursuit une réflexion critique inspirée de sa pratique scientifique. Ses travaux, qui font autorité dans les cénacles scientifiques et universitaires internationaux, interrogent la nature complexe des relations entre la science et l’éthique, de même que la compatibilité entre une pensée scientifique préoccupée souvent déterministe et la compréhension des complexités, source continue d’indéterminismes. La pensée d’Henri Atlan contribue sensiblement à éclairer les questions de société épineuses que soulèvent le clonage reproductif, dont il est l’un des grands spécialistes mondiaux, les découvertes récentes sur les prions, la biologie du développement…
Son dernier livre, De la fraude. Le monde de l’Onaa, paru récemment aux Éditions du Seuil, est une réflexion talmudique et philosophique profonde et perspicace, qui nous aide, à l’aide d’un concept talmudique, l’Onaa, à repenser le statut de la fraude dans notre monde contemporain.
Le Professeur Henri Atlan nous a accordé une entrevue. Nous l’avons joint à son domicile, à Jérusalem.

Canadian Jewish News: Que signifie “Onaa”?

Henri Atlan: Le mot hébreu Onaa désigne un dommage produit par une fraude et subi par un individu ou une collectivité. Mais on nous dit curieusement dans le Talmud qu’il existe aussi une Onaa de paroles (Talmud de Babylone, Baba Metsia, Michna, 58 b.). On entend par là des dommages spécifiques que produisent des fraudes par rapport à la sincérité et à la vérité de paroles comme il existe des fraudes par rapport à la vérité des prix. Fraudes de toutes sortes donc dans le commerce entre les hommes. Mais l’Onaa est une fraude à la limite du licite, différente en cela du vol et de la fausse monnaie. De même que l’Onaa comme blessure verbale est différente du mensonge en général, même si certains mensonges peuvent en être la cause. Il s’agit d’un domaine intermédiaire entre vérité absolue (du marché, de la parole) et dissolution totale dans la fraude et le mensonge gé néralisés.

C.J.N.: Le Talmud a institué un “seuil” pour mesurer une “Onaa” de nature économique ou financière.

Henri Atlan: La législation talmudique a institué en effet une notion de seuil, au-dessous duquel la lésion ou le dommage subi est “pardonné”. Au-dessus de ce seuil, la lésion est inacceptable, elle s’assimile alors au vol et la transaction est annulée, bien qu’il puisse rester un quelque chose d’irréversible dans la blessure subie dans son être par la personne initialement lésée. D’après le Talmud, ce seuil est indispensable pour préserver un minimum de stabilité et d’accord dans les échanges économiques ou financiers.
Dans le cas de l’Onaa économique ou financière, ce seuil a été établi dans le Talmud à un sixième du prix du marché, c’est-à-dire que si on achète moins cher qu’un sixième du prix du marché, ou si on vend plus cher qu’un sixième du prix du marché, alors on a fait une fraude. La transaction doit être annulée. Par contre, si l’écart par rapport au prix du marché est inférieur au sixième de ce prix, la transaction est admissible et l’écart en question, la fraude comme on dit, est pardonnée, c’est-à-dire que l’Onaa est admise à condition de ne pas dépasser le seuil d’un sixième.

C.J.N.: Le monde de l’“Onaa” se situe aux antipodes de la Bible, qui elle condamne de manière absolue la fraude et le mensonge. Il s’agit donc d’une divergence d’interprétation importante entre la Bible et le Talmud?

Henri Atlan: Ce n’est pas le seul cas où on observe une différence très importante entre ce que dit la Bible et l’interprétation qu’en donne le Talmud. Ces divergences d’interprétation ne doivent pas étonner car le Talmud n’est pas une simple répétition, ni une simple interprétation, de la Bible. Le Talmud réalise une activité créatrice, fruit du travail de réflexion des Rabbins qui sont des Maîtres de la Michna et de la Guémara, qui renouvelle beaucoup de thèmes qui apparaissent dans la Bible. La question de l’Onaa, qui dans la Bible apparaît comme très banale, acquière d’autres dimensions dans l’interprétation talmudique.
Il y a beaucoup d’autres exemples de divergences de vues entre la Bible et le Talmud. Le prêt à intérêt est absolument interdit dans la Bible. Or, le Talmud, avec une décision de Hillel, permet au contraire d’effectuer le prêt à intérêt pour le besoin de l’économie, évidemment en l’encadrant avec un certain nombre de règles. Le prêt à intérêt est permis à condition de ne pas dépasser un certain nombre d’abus au niveau de l’intérêt réclamé et à condition que celui-ci serve à un investissement productif et pas seulement à la spéculation. Autre exemple de divergence: la polygamie, permise dans la Bible, a été interdite non pas par le Talmud mais, au Xe siècle, dans le monde ashkénaze par un Rabbin. Autre point de divergence entre la Bible et le Talmud: le tirage au sort, qui joue un rôle tout à fait fondamental dans certains rites bibliques comme moyen d’oracle, pour révéler la parole divine et même pour rendre la justice et découvrir un coupable, est totalement banni dans le monde talmudique.

C.J.N.: Le monde de l’“Onaa” nous rappelle que la fraude et le mensonge ne se cantonnent pas uniquement au monde économique ou mercantile mais flétrissent aussi la parole.

Henri Atlan: Dans le cas de la fraude financière ou économique, à propos de laquelle le Talmud institue un seuil de tolérance d’un sixième, qui n’existe pas dans la Bible, il existe une règle, comme d’autres règles qui régissent les échanges économiques et des dimensions importantes de ceux-ci: le prêt à intérêt, l’interdiction de voler… Par contre, si on étend le monde de l’Onaa à la parole, c’est ce que fait l’interprétation talmudique, on s’aperçoit que la fraude en paroles, la Onaat dvarim, comme dit le Talmud, apparaît comme quelque chose de tout à fait fondamental dans tout un ensemble de conceptions. La parole est alors absolutisée. Ça commence dans la Bible avec la notion de Neder, le voeu. C’est-à-dire que toutes les précautions instituées déjà dans la Bible autour du fait de faire une promesse ou un voeu montrent qu’on accorde une importance très grande à la parole, qui en fait joue le rôle d’une chose. En hébreu Davar signifie aussi bien une parole qu’une chose. La parole n’est pas que du vent.
On retrouve cette fonction très importante de la parole à propos de l’interdiction appliquée à la Onaat dvarim, la fraude en paroles, la tromperie en quelque sorte. Cette fraude en paroles se situe dans un entre-deux par rapport au mensonge, ce n’est pas un mensonge, c’est un demi-mensonge. Mais un demi-mensonge, même parfois en tant que tromperie involontaire, peut causer des dommages, des blessures verbales, notamment par l’humiliation d’autrui, qui souvent sont très graves et peuvent même, comme dans l’histoire racontée dans le Talmud à propos de Rabbi Eliezer, de ses collègues et de ses disciples, se terminer par la mort.

C.J.N.: Il est impossible de définir “un seuil de tolérance” dans le cas de l’“Onaa” de paroles.

Henri Atlan: C’est une des difficultés dans la compréhension du texte talmudique consacré à la question de l’Onaa. Le Talmud nous dit que de la même façon qu’il existe une Onaa dans les affaires d’achats et de ventes, il existe aussi une Onaa en paroles. Évidemment, c’est impossible d’appliquer à une Onaa en paroles la règle du seuil d’un sixième appliquée dans le cas d’une transaction commerciale ou financière. Mais le simple fait de mettre ces deux types de lésions ou de dommages causés à autrui sur le même plan nous invite à essayer de mesurer cette fois-ci le dommage dans l’être et non plus dans l’avoir que peuvent infliger des paroles trompeuses ou semi-mensongères, bien qu’un tel dommage soit pour celui ou celle qui le subit démesuré. C’est cet effet de quantification ou de mesure qu’apporte l’expli cation kabbaliste.

C.J.N.: Le monde de l’“Onaa” peut-il nous aider à repenser le statut de la fraude, surtout après la crise financière mondiale de l’automne 2008?

Henri Atlan: Je m’intéresse à la question de l’Onaa depuis plusieurs années. J’avais presque terminé d’écrire ce livre quand a éclaté la dernière crise financière avec son lot de scandales scabreux, notamment l’affaire Madoff. C’est un pur hasard si l’actualité éco no mique a rattrapé le thème de mon livre.

C.J.N.: Vous démontrez pourtant que la notion d’“Onaa” et ses corollaires sont toujours d’une brûlante actualité en ce début du XXIe siècle.

Henri Atlan: Absolument. Le rapport curieux, et pas évident, entre la fraude financière et la tromperie en paroles me semble très intéressant pas seulement du point de vue de la compréhension du texte talmudique, mais aussi pour ses applications au monde contemporain et à la situation que l’humanité vit aujourd’hui. Nous vivons désormais à une époque entièrement prédominée par la communication et la propagande. Or, la communication et la propagande sont des formes évidentes de demi-mensonges, c’est-à-dire d’Onaa en paroles.

C.J.N.: Dans le chapitre intitulé “Dissolution”, vous démontrez explicitement comment les démocraties ont recours à la propagande pour contrecarrer les mensonges relayés par les régimes totalitaires. Vous rappelez que des démocraties -c’est le cas aussi d’Israël- utilisent des “demi-vérités” et des“demi-mensonges” pour réfuter les thèses de leurs détracteurs.

Henri Atlan: De ce point de vue, la démocratie est quand même préférable aux régimes totalitaires, où il n’y a pas de contre-propagande. La communication joue en effet un rôle de plus en plus important dans les démocraties. Celle-ci permet aux différentes opinions de s’expri mer avec tous les inconvénients que ça comporte, la communication utili sant très souvent tous les moyens et toutes les ficelles de la propagande, qui sont de l’ordre des demi-tromperies ou des demi-mensonges. Mais au moins en démocratie il y a toujours une contre-propagande ou une contre-communication possible tandis qu’en régime tota li taire toutes les techniques de communication sont mises au service d’un seul pouvoir autocratique, qui exclut catégoriquement la moindre critique.

C.J.N.: Vous rappelez que l’“Onaa”, c’est-à-dire la fraude et le mensonge, sévit aussi dans le milieu de la re cherche scientifique.

Henri Atlan: La fraude scientifique a toujours existé sous des formes brutales: la falsification de données scientifiques, le plagiat, le vol par un savant de découvertes scientifiques réalisées par un confrère… Ce type de fraude scien ti fique flagrante et brutale a toujours existé, tout en étant très rare tout simplement parce que chaque fois que ces fraudes ont été découvertes leurs auteurs ont été sévèrement sanctionnés et exclus de la communauté des chercheurs. Par contre, ce qui est relativement nouveau, c’est la pénétration de la communication dans le monde des sciences. C’est quelque chose qui correspond à cette espèce de dissolution dont je parle dans le livre.
La vérité scientifique doit faire l’objet d’une information aussi objective que possible. Mais, aujourd’hui, la communication s’empare de l’information, qui devient une promotion, comme s’il s’agissait de vendre des produits en tablant sur des techniques de marketing de plus en plus sophistiquées. Le but est de valoriser les travaux de recherche de tel ou tel laboratoire scientifique afin de trouver les financements nécessaires pour mener à terme cette recherche. Ceci est dangereux parce que ça se traduit souvent par des dérives qui sont tout à fait de l’ordre de ces demi-mensonges qu’utilisent les techniques de la communication. Dans le livre, je donne un certain nombre d’exemples parti cu lière ment frappants et choquants, notamment les stratégies trompeuses concoctées par des grandes compagnies pharmaceutiques pour la mise sur le marché de leurs médicaments, avec l’aide de leurs bureaux professionnels de communication.

C.J.N.: Pourquoi le Talmud rejette-t-il catégoriquement la notion d’“absolu”, sacralisée dans la Bible?

Henri Atlan: Le Talmud récuse abso lu ment la notion d’absolu, ce qui semble contradictoire. En fait, le Talmud relativise la notion d’absolu. C’est un des traits du passage du monde bi blique au monde talmudique. Le monde biblique est le monde de l’absolu, du sacré, qui se dévoile comme tel. Le monde talmu dique, c’est celui qui commence avec l’Exil de Babylone, avec le deuxième Temple -déjà la présence du sacré dans le deuxième Temple n’est plus aussi évi dente que dans le premier Temple-, et qui connaîtra un grand essor après la destruction du deuxième Temple.

C.J.N.: Dans le monde des idées philosophiques, des illustres penseurs, tels que Platon et Kant, ont aussi érigé en dogme la notion d’“absolu”. Vous ne semblez pas partager leur position sur cette question. Pourquoi?

Henri Atlan: C’est une question fort complexe. En effet, Platon préconise la vérité absolue des idées et des essences, mais d’un autre côté le même Platon préconise dans son livre La République une tromperie véritable, pas seulement une demi-tromperie, afin d’assurer la pérennité de ce qu’il considère être “le bien de la société”, c’est-à-dire la pratique d’un eugénisme radical par les magistrats qui dirigent cette société. En fait, cette épineuse question a agité beaucoup de grands philosophes, qui ont placé le mensonge au sommet de la criminalité. Le plus célèbre d’entre eux est certainement Kant. Pour ces derniers, le mensonge est le crime absolu, beaucoup plus grave que de voler ou même de tuer. Pourquoi? Parce que le mensonge détruit complètement la vérité des échanges de paroles, qui est l’un des fondements cardinaux d’une société humaine. Le meurtre d’une personne, c’est évidemment un crime très grave, mais qui n’est pas le propre de l’humain, les animaux se tuant aussi entre eux, tandis que le mensonge sape les fondements de l’humanité. Cela ne veut pas dire que ces philosophes penseraient qu’il faut condamner au tribunal un menteur plus lourdement qu’un criminel.

C.J.N.: Donc, la Bible et le Talmud mettent plus l’emphase sur le statut moral d’un mensonge que sur son statut juridique?

Henri Atlan: Oui, comme les philosophes mentionnés tantôt. C’est ce qui explique l’importance qui est attribuée à la fraude et au mensonge dans la Bible et surtout dans le Talmud, qui les considèrent comme des fautes extrêmement graves du point de vue moral mais certainement pas du point de vue juridique. Il faut donc faire une distinction entre le juridique, pour qui évidemment le fait d’infliger une lésion corporelle à quelqu’un d’autre, et à fortiori le fait de le tuer, est un crime beaucoup plus grave que le simple fait de mentir. Je ne parle même pas des tromperies en paroles involontaires. Mais c’est vrai que le mensonge, la tromperie et les dommages causés, l’humiliation que peuvent infliger des paroles violentes ou bles­santes, ont d’un point de vue moral un statut très élevé. Il ne faut pas confondre le jugement qu’on peut porter sur la gravité de ces fautes d’un point de vue moral avec le statut juridique de celles-ci.

C.J.N.: Vous êtes un scientifique renommé et aussi un fin connaisseur des textes de la tradition religieuse juive. Quel est votre position sur la complexe question du rapport entre la foi religieuse et la science ?

Henri Atlan: Il ne faut certainement pas les mélanger. Mais pour moi, les textes juifs traditionnels ne sont pas de l’ordre de la foi religieuse mais de nature mythique et philosophique, comme tous les grands textes philosophiques, notamment ceux de l’Antiquité, et pas seulement en Grèce mais aussi en Perse ou en Inde. Je les étudie en faisant usage autant que possible de la raison. La notion de texte révélé est très problématique, et même blasphématoire, si l’on entend par là des textes véhiculant la “Parole de Dieu”. Un texte ne peut être considéré comme sacré sans blasphème que s’il se présente sans auteur surnaturel ni même identifiable, comme par exemple les Upanishads indiens. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans le deuxième tome de mon livre Les Étincelles de hasard (Éditions du Seuil, 2003), en l’intitulant “Athéisme de l’Écriture”. Mais les usages de la raison sont différents quand ils con­cernent la science ou le mythe tant par la méthode que par les contenus de savoir. Il ne faut donc pas confondre la rationalité scientifique avec la rationalité du mythe. J’ai essayé d’analyser ces différences dans mon livre A tort et à raison (Éditions du Seuil,1986), que j’ai sous-titré pour cela “Intercritique de la science et du mythe”.

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