La tradition juive mentionne sept prophétesses : Sarah, Miryam, Devorah, Hanna, Avigaïl, ‘Houlda et Esther ( Meguila 14b). |
Avigaïl : Présentée par le Midrach comme l’une des plus belles femmes de l’histoire, Avigaïl est devenue la veuve de Nabal le Carmélite, un individu particulièrement antipathique, dans des circonstances que relate avec force détails le chapitre 25 du premier livre de Samuel. Elle a par la suite épousé David, alors qu’il était encore pourchassé par Saül. Elle a été traversée par l’esprit saint, rapporte le Midrach ( Eikha rabba 21, 1), lorsqu’elle tint à celui qui allait devenir son deuxième mari ces propos prémonitoires :
“Si l’on s’avisait de t’attaquer et d’en vouloir à ta vie, l’existence de mon seigneur restera liée au faisceau des vivants que protège Hachem , ton Dieu. Quant aux âmes de tes ennemis, Il les atteindra comme par le creux d’une fronde” (I Samuel 25, 29).
Déborah : En plus d’être prophétesse, elle était aussi, fait insigne, juge, chef des armées et poétesse ; un cantique lui est en partie attribué (Juges 5). "Et Déborah, une prophétesse, femme de Lapidot, était juge sur Israël à cette époque. Elle siégeait au pied du Palmier de Déborah […] dans la montagne d’Efraïm" (Juges 4 : 4-5). Femme de Lapidot peut aussi se lire, femme de lumières, car elle fabriquait des mèches pour les candélabres du Temple et plus symboliquement parce qu’elle dispensait la lumière au travers de ses prophéties. Mais le Talmud est ambivalent à son sujet, raillant un peu son nom qui signifie "abeille", la traitant d’arrogante ou s’offusquant qu’une femme puisse assumer tant de fonctions d’autorité. Même si la littérature talmudique minimise parfois la dimension de juge de Déborah en avançant l’hypothèse qu’elle ne faisait "qu’enseigner des lois" – ce qui est déjà exceptionnel pour une femme dans le corpus rabbinique –, des commentaires talmudiques nous donnent en quelque sorte le mode d’emploi de sa singularité édifiante. Elle ne pouvait juger que "grâce à l’inspiration divine" mais surtout "parce que le peuple l’avait acceptée" (Commentaire des Baalé Tossafoth sur Baba Kama 15, a et Guittin 88, b). Cet enseignement de l’école de Rachi peut servir d’exemple pour celles et ceux qui auraient encore des réticences à accepter de voir des femmes assumer légitimement des fonctions de leadership ou de décideurs de la loi juive.
Esther : L’accession d’Esther au rang de prophétesse se déduit du verset : “Ce fut le troisième jour, Esther revêtit la royauté” ( Esther 5, 1), à propos duquel laGuemara ( Meguila 14b) fait observer qu’il aurait dû être écrit : “Esther revêtit ‘des habits’ de royauté”, et non simplement “la royauté”. Cela signifie, enseigne-t-elle, que c’est l’esprit saint ( roua‘h haqodech ) qui l’a habillée.
Un autre indice des certitudes prophétiques d’Esther est fourni par le Séder ‘olam , cité par rabbi Baroukh Epstein ( Tora Temima sous Esther 5, 1). Il est écrit : “Esther, la reine, fille de Avi‘hayil écrivit…” ( Esther 9, 29). Or, ce qu’elle a écrit, c’est le livre qui porte son nom et qui a été enregistré dans le canon biblique. Il faut par conséquent qu’elle ait été investie de l’esprit saint, puisque seuls des auteurs porteurs de cette inspiration prophétique ont eu l’honneur de figurer dans ce canon.
Hanna :‘Hanna présente la particularité unique d’avoir été à la fois femme et mère de prophètes. Son mari, Elqana, était en effet lui-même prophète ( Rachi ad ‘Erouvin18b, s.v. Elqana ) et c’est lui qui, en tant qu’“homme de Hachem ” (I Samuel 2, 27) est venu annoncer au Grand prêtre ‘Eli la destitution de sa famille de ses fonctions sacerdotales ( Radaq ad loc. ). Quant à son fils Samuel, il fait partie des quarante-huit prophètes répertoriés par la tradition ( Rachi ad Meguila 14a). La prophétie de ‘Hanna s’exprime, avec une émotion touchante, dans la prière qu’elle a adressée à Hachem après la naissance de son fils tant désiré (I Samuel 2, 1 à 10 – voir aussiBerakhoth 31b et suivants).
‘Houlda : Epouse de Challoum ben Tiqwa, « gardien des vêtements » du roi Josias, elle est la seule prophétesse de l’époque de la monarchie davidique (II Rois 22, 14 à 20). Consultée par le monarque au sujet du rouleau de la Tora découvert lors de la restauration du Temple, elle annonce les malheurs qui s’abattront sur le Royaume de Juda et sur ses habitants, précisant toutefois que l’exécution de ce jugement sera ajournée jusqu’à la mort de Josias compte tenu de son repentir.
Si le souverain a ainsi consulté ‘Houlda et non Jérémie, explique la Guemara Meguila (14a), c’est parce qu’il pressentait qu’une femme se montrerait plus compatissante et plus disposée à intercéder auprès de Hachem . Et comme Jérémie était apparenté à la prophétesse, étant tous deux des descendants de Josué et de Ra‘hav (Meguila 14b ; Ruth rabba 2), il ne redoutait pas qu’il pût s’en froisser. Lorsque Jérémie a admonesté les hommes et les a incités à la repentance, elle a fait de même auprès des femmes ( Pessiqta rabbathi 26, 129).
C’est en récompense des éminentes qualités de son mari, qui se rendait chaque jour hors des murailles de Jérusalem pour offrir aux voyageurs de quoi se désaltérer, que ‘Houlda a accédé à la prophétie. Elle tiendrait toutefois son nom peu élégant ( ‘houlda signifie en hébreu : « belette ») du dédain avec lequel elle a traité le roi, en l’appelant, dans sa réponse (II Rois 22, 15), « l’homme » et non : « Sa Majesté ».
Miryam : Le titre de “prophétesse” conféré à Miryam résulte du texte même de la Tora ( Chemoth 15, 20) : “Miryam, “la prophétesse”, sœur de Aaron, prit en main un tambourin…” En quoi a consisté son don prophétique ? se demande-t-on dans Meguila 14a. En ce qu’elle avait prédit la naissance d’un frère qui sauverait Israël. D’où sa désignation comme “sœur de Aaron”, et non comme “sœur de Moïse” : Lorsqu’elle a prophétisé, elle n’avait qu’un frère, Aaron.
La Guemara ajoute : Miryam, qui était une prophétesse, a annoncé : “Ma mère donnera le jour à un fils qui sera le sauveur d’Israël !” A la naissance de Moïse, toute la maison s’est emplie de lumière. Son père lui a alors dit : “Ma fille, ta prédiction s’est réalisée !” Mais lorsque Moïse a été jeté dans le fleuve, il lui a demandé : “Ma fille, qu’est devenue ta prophétie ?” C’est ce que signifient les mots : “Sa sœur se tint à distance, pour savoir ce qui s’accomplirait” ( Chemoth 2, 4) – pour savoir si sa prophétie allait se réaliser ( Sota 13a).
Sarah : Lorsque, après la naissance d’Isaac, Sara constata qu’Ismaël se moquait de son enfant, elle demanda à Abraham de le renvoyer avec sa mère. Pour vaincre les hésitations de celui-ci, qui répugnait à un geste aussi impitoyable, Hachem lui dit : “Tout ce que te dira Sara, écoute sa voix !” ( Berèchith 21, 12).
Pourquoi “sa voix” ? se demandent les commentateurs. N’aurait-il pas suffi de dire, tout simplement : “Ecoute-la !” ? C’est que, répondent-ils, le mot “voix” ( qol en hébreu) comporte une connotation de prophétie comme étant synonyme de roua‘h haqodech (« esprit saint ») (Voir Rachi sous Berèchith 21, 12). Sara était donc une prophétesse. Et qu’a-t-elle prophétisé ? Elle a deviné, mieux que l’aurait fait son mari, tout le mal que pourrait causer Ismaël à Isaac si les deux frères devaient grandir ensemble.
Si nous nous interrogeons sur la nature du message prophétique transmis par Sara, force est de constater qu’il ne s’agit ni d’une prédiction, ni d’une remontrance, et encore moins d’un miracle. La vision prophétique que Sara a transmise était constituée, en réalité, d’une clairvoyance poussée à l’extrême. Comme mère de l’enfant dont elle pressentait qu’il deviendrait l’objet de la promesse de Hachem à Abraham, elle a exprimé, en le dissimulant sous les apparences superficielles d’une jalousie maternelle, l’intuition du destin exceptionnel auquel allait accéder Isaac.
A noter également le titre de “prophétesse” ( nevia ) conféré par Isaïe à son épouse (Isaïe 8, 3). Faut-il le prendre au pied de la lettre, ou n’était-ce qu’un terme d’affection dans la bouche de son mari ? Les commentateurs sont en désaccord à ce sujet ( Rachi ad Isaïe 7, 14 ; en sens contraire : Radaq ad 8, 3).
Source : Jacques Kohn